Skylar . you are gonna love him ; fini

Le patient s'assoit tranquillement, laisse rapidement errer ses pieds sur la table basse en face de lui. Décontracté, c'est un bon début.
« Alors, qu'est-ce qui vous amène ici ? »
Ce qui m'amène ? Bonne question, tiens. Un taxi, pour la première version ; celle où je refuse de vous parler parce que de toute façon, je ne suis qu'un enfant turbulent & je m'en foutiste. Mais, à vrai dire, j'ai envie d'être clément avec vous aujourd'hui. Pour comprendre tout ça, il faut revenir au tout début. Vous auriez pas une bière ? Merci. Je disais donc, le tout début. Ma naissance ... Comme vous vous en doutez, je ne m'en souviens pas. Je devais être un bébé pas mal, ma grand-mère me disait souvent que je ne pleurais jamais. Je ne pleure toujours pas, en fait.
« Jamais ? »
Jamais. Vous savez, j'ai eu plusieurs occasions, surtout quand j'étais petit. Au début, je vivais la meilleure des enfances possible. J'aimais mes parents, j'adorais l'école, j'avais plein de copains. J'étais innocent. Après, maman est partie ; j'avais six ans, et je m'en souviens comme si c'était hier. Sans m'expliquer pourquoi, elle m'avait claqué un baiser sur la joue et elle était sortie avec ses valises qu'elle avait enfoncé dans le coffre du taxi. Et puis, elle était montée dans la voiture, et lorsqu'elle avait commencé à partir, elle s'était retournée vers moi. J'ai pu lire "je t'aime" sur ses lèvres, j'ai pu voir une larme couler sur sa joue, mais jamais je n'ai réussi à comprendre la cause de son départ. Après ça, rien n'a été pareil à la maison.
Silence ; le patient boit une gorgée de sa bière, la repose sur la table, s'étend sur le canapé avant de continuer comme si il me racontait une simple péripétie sous la pluie.
« Comment c'était, alors ? »
Mon père n'était pas très gentil. Bien sûr, il était dur avec les traditions, & surtout lorsque ça me concernait. Je ne sortais jamais, je perdis tous mes copains. Il m'a même frappé une fois, mais c'est une histoire qu'il ne vaudrait mieux pas aborder ici. Mais encore une fois, je n'ai jamais pleuré. Je voulais que ma mère revienne, évidemment, mais elle ne donnait pas de signe de vie malgré les années qui passaient. J'ai juste fini par perdre espoir. Quand on me posait la question à l'école, je disais qu'elle était morte. C'était la même chose, n'est-ce pas ? Je n'étais qu'un enfant ... Après, il y a eu l'adolescence. Ah, l'adolescence, un vrai bonheur ; enfin, tout dépend du point de vue.
« Vous voulez dire, une adolescence tumultueuse ? »
Exactement. Mon père continuait d'être dur, mais je n'avais aucun mal à filer par la fenêtre à la nuit tombée pour aller m'éclater aux fêtes que les gens de mon lycée organisaient. J'étais assez populaire, j'avais une petite amie, Cassie. Je suis resté deux ans avec elle, de mes quinze à mes dix-sept ans. Et puis, j'ai connu d'autres plaisirs ; le sexe, l'alcool, tous ces trucs qu'on découvre à l'adolescence.
« Et votre père, dans tout ça ? »
A mes dix-sept ans, il m'a envoyé en pension. Il avait découvert toutes mes fuites, et il pensait que j'étais incapable de reprendre le flambeau de l'entreprise familiale si je continuais à agir comme je le faisais. Où est le mal à fumer un joint de temps en temps, à jouer de la guitare, à chanter, à rire & à sortir entre amis ? Il m'a donc envoyé au Texas, où je suis resté un an. J'ai rompu avec Cassie à cause de la distance, & aussi parce que la compétition ici était assez importante. Je suis rapidement devenu le prince du lycée. Toutes les filles me voulaient dans leur lit -il faut avouer que je suis assez doué-, & tous les garçons voulaient être mon ami.
« Qu'avez-vous fait après avoir fini la pension ? »
Mon père m'a rappelé auprès de lui. J'ai passé un an dans ses bureaux, à m'ennuyer ferme alors qu'il essayait de me donner la "fibre économique". J'ai tenu un an avant de partir. L'université me tentait tellement ... J'ai toujours été assez intelligent, & j'adore me cultiver, bien que finalement je fasse surtout la fête à Chapel Hill ... Bien sûr, mon père s'y est opposé & on a dû en venir à un compromis. J'ai mon diplôme & tout de suite après, je retourne travailler chez lui. Mais rassurez-vous, je ne suis qu'en deuxième année. J'ai encore le temps de réfléchir au moyen d'y échapper, car il est hors de question que je le suive dans son entreprise.

Le patient se confie sans aucune retenue. Il hésite un peu à ma question mais reprend pourtant, avec cette même voix mesurée & détachée.
« Globalement, comment définiriez-vous votre famille ? »
Je l'ignore. Je ne pense pas avoir de famille au sens propre ; je veux dire, mes parents n'ont jamais été un modèle de vertu pour moi. Entre ma mère qui m'a abandonné alors que je n'avais que six ans et mon père donc le loisir préféré est de me pousser à bout, on ne peut pas dire que je vivais dans l'environnement idéal.
« Aucun frère ni soeur ? »
Le patient rit légèrement mais se reprend.
J'ai une petite soeur & un petit frère, des jumeaux, Jenna et Konnor. Ils ont dix-sept ans maintenant, mais je n'ai jamais été très proche d'eux. Pour moi, ils étaient surtout des alibis pour pouvoir sortir ; ils me couvraient toujours. Ils sont inséparables, & ils adorent me rendre service. Peut-être qu'ils m'aiment... Je l'ignore.

câlin ; intelligent ; fêtard ; sensible ; déterminé
jaloux ; possessif ; têtu ; volage ; je m'en foutiste

« & à Chapel Hill, comment ça se passe ? »
Bien, très bien même. Je suis habitué à être indépendant, avec la pension & tout ça, donc la vie en communauté ne me dérange pas du tout. Bon, bien sûr, j'ai parfois besoin de mon intimité, mais on se fait à tout n'est-ce pas ? Je suis assez apprécié, par les filles grâce à mon physique pour la plupart, par les garçons pour mon charisme et le fait que je ne me prenne pas si la tête que ça. Je suis célibataire, & en ce moment je collectionne plutôt les histoires d'une nuit. Pas que je ne veuille pas me caser, je suis sortie avec une fille pendant deux ans, Cassie. Disons simplement que je me lasse trop rapidement... Pour le moment, à Chapel Hill, personne ne m'a tapé dans l'oeil assez pour que je veuille continuer avec cette personne. Et puis, je suis finalement un peu solitaire. J'aime passer des heures à moto, à aller ici & là, à errer dans les environs, juste en sentant la vitesse & l'adrénaline envahir mes membres. Je suis un grand fêtard ; vous me verrez à toutes les fêtes qui vaillent le coup, & c'est souvent là-bas que j'ai rencontré ceux dont je suis le plus proche maintenant.